• l'horloge, une petite fille et le temps...(I)

     
     Texte que certains ont pu lire, paru en Avril dans l'atelier " Papier libre". Je le remets ici comme premier volet de mes pensées sur le temps.



    L’horloge implacable

     

     

     Pourquoi soudain cette image à la mémoire ? Quel étrange phénomène déclenche-t-il cette bouffée de sueur qui monte le long de mon visage ? Une association, deux mots, «  peur d’enfants. ». Pas de sorcières, ni de loups, dans ce flash, juste une petite fille de 8 ans, éperdue.

     

    C’était un matin  pas comme les autres, un petit bout de chemin à pied pour prendre le tramway qui devait me transporter au terminus, un autre long chemin en ville ensuite pour rejoindre l’école. Maman, occupée par ma toute petite sœur, m’avait un jour signifié que désormais j’étais assez grande pour faire le trajet seule. Avec papa, nous en avions bien balisé les étapes. J’étais à la fois fière et angoissée de me lancer dans cette aventure. Je regardai défiler les maisons sur cette longue avenue plongeant vers le centre, impressionnante déclivité que le tramway en multiples secousses franchissait dans des bruits grinçants. Brusquement un crissement aigu, quelques sursauts, panne de circuit. Nous étions encore loin de l’arrivée et il me restait un bon quart d’heure de marche supplémentaire.

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    Etre en retard ! Ma hantise,  j’allais être en retard, et mlle Lecoutre, vieille fille revêche, sèche, au chignon serré dans la nuque, allait me gronder devant toutes les autres, me punir ! Je voyais la baguette levée, je sentais le sang battre mes tempes ! Non, je ne pouvais pas attendre là. Certains voyageurs descendaient, j’en fis autant. Et sur ce long trottoir pentu, interminable, je me mis à courir, courir, pouls accéléré, une seule pensée en tête, être à l’heure ;  les jambes molles finirent par lâcher et je m’étalai de tout mon long. Comment décrire cet affolement, ce drame qui se jouait là dans ma tête d’enfant. Mes genoux étaient en sang, mes coudes râpés, je me mis à pleurer en silence. Un profond sentiment d’abandon, de solitude immense, m’étreignit mêlé à la peur tenace de ce qui se passerait à mon arrivée en classe. La concierge d’un immeuble m’avait vu, me proposa son aide pour me soigner,  ramasser mon cartable éparpillé. Dans un sanglot je ne pus que lui dire, «merci,  je me suis fait mal, je me suis fait mal, je vais être en retard » Parler, se plaindre auprès de cette femme c’était échapper à l’isolement, à l’angoisse d’une petite fille affrontant seule une situation effrayante inconnue. Cette présence, une parole de compassion, me donnèrent l’énergie pour reprendre ma course. En sueur, la gorge nouée, oubliant les brûlures de la peau arrachée, essoufflée, je dus , pour pouvoir y pénétrer, sonner à la lourde porte du pensionnat,  école stricte, à la discipline sévère. Il me fallut expliquer, debout devant les élèves, les raisons de mon retard, mais par fierté je dissimulai ma frayeur et mes blessures. J’eus droit à un sermon, mais la punition me fut épargnée.

    J’en fis le récit le soir à mes parents, tremblant d’émotion contenue, avec en pensée les sursauts du tramway, son arrêt brutal, ma chute ! Je  me couchai ensuite et je tombai dans un de mes sommeils épouvantables peuplé d’horloges, de visages austères et répressifs, de bruits métalliques,  dont je fus tiré au bout de deux heures environ par une secousse plus affreuse encore que celle du matin : Je venais de voir atterrée, l’engin, mû par un sursaut électrique, passer sous mes yeux, crissant, avalant la pente sur ses rails, s’enfoncer dans cet entonnoir de rue, emportant à folle allure les passagers. Glacée,  j’entendais, le monstre gronder,  narquois : «fallait pas descendre, idiote,  tu seras en retard, tu seras en retard ».

     

    Le tic, tac, de l’horloge est en moi...pour le dernier rendez-vous…

     

    LASIDONIE 10-04-07

     Un deuxième volet , demain, celui de la petite fille devenue adulte dans le dernier quart...d'heure de sa vie.

     

    « Une pensée de Noëll'horloge, la femme et le temps (II) »

  • Commentaires

    6
    Dimanche 30 Décembre 2007 à 06:58
    Ton histoire me fait penser à la chanson de Nougaro : une petite fille en pleurs..... je ne me l'explique pas mais c'est ainsi et je te dédie ces paroles de cette si belle chanson :

    Un' petit' fille en pleurs
    Dans une ville en pluie
    Et moi qui cours après
    Et moi qui cours après au milieu de la nuit
    Mais qu'est-c'que j'lui ai fait ?
    Une petite idiot' qui me joue la grande scène
    De la femm' délaissée
    Et qui veut me fair' croir' qu'elle va se noyer !
    C'est d'quel côté la Seine ?
    Mais qu'est-c'que j'lui ai fait ?
    Mais qu'est-c' qui lui a pris ?
    Mais qu'est-c' qu'elle' me reproche ?
    Lorsque je l'ai trompée, ell' l'a jamais appris
    C'est pas ell' qui s'approche ?
    Tu m'aim's vraiment dis-moi
    Tu m'aim's, tu m'aim's, tu m'aim's,
    C'est tout ce qu'ell' sait dire
    En bouffant, en m'rasant,
    Quand je voudrais dormir
    Faut lui dir' que je l'aime !

    Un' petit' fille en pleurs dans une ville en pluie
    Où est-ell' Nom de Dieu !
    Elle a dû remonter par la rue d'Rivoli
    J'ai d'la flott' plein les yeux
    Parc' qu'elle avait rêvé je ne sais quel amour
    Absolu, éternel
    Il faudrait ne penser, n'exister que pour elle
    Chaque nuit, chaque jour
    Voilà ce qu'elle voudrait. Seulement y a la vie
    Seulement y a le temps
    Et le moment fatal où le vilain mari
    Tue le prince charmant
    L'amour, son bel amour, il ne vaut pas bien cher
    Contre un calendrier
    Le batt'ment de son cœur, la douceur de sa chair...
    Je les ai oubliés.
    Où donc est-ell' partie ?
    Voilà qu'il pleut des cordes
    Mon Dieu regardez-moi
    Me voilà comme un con, place de la Concorde !
    Ça y est, je la vois
    Attends-moi !
    Attends-moi !
    Je t'aime !
    Je t'aime !
    Je t'aime !
    5
    Jeudi 27 Décembre 2007 à 18:55

    Je me rappelle avoir lu ce texte, il est certain que c'est terrible pour une petite fille bien studieuse de déroger à la règle de l'exactitude, même si c'est indépendant de sa volonté. Surtout la crainte des représailles, aujourd'hui je dirai -allons ce n'est rien, c'est l'apprentissage de la vie, une petite remarque ne doit pas chambouler toute une vie. (Je ne peux plus publier de photos sur mon ancien blog, alors j'en ai ouvert un autre dont tu as l'adresse ci-dessous). A bientôt, bisous

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    4
    Mercredi 26 Décembre 2007 à 20:55

    Je me souviens de ton texte mais c'est toujours un plaisir de  le relire

    Bisous

    3
    Mercredi 26 Décembre 2007 à 20:17
    Combien de blessures comme celles-là font des petites filles que nous avons été des adultes fragiles, manquant de confiance, titanisées par l'angoisse de mal faire.
    Bises Sido.
    2
    ABC
    Mercredi 26 Décembre 2007 à 09:56
    Je me souviens de ce texte sur papier libre, forte émotion d'enfant !
    Ne pas être en retard ........
    1
    Mercredi 26 Décembre 2007 à 09:27
    dis donc, il est drôlement beau ce campanile ! bisous du jour , christel
    nb: plus que 60 coms et le défi est battu !
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